Chers oulémas,
Al-Salāmu ‘alaykum wa Rahmatullāhi wa Barakātuh.
Pour la première fois dans l’histoire, nous assistons à un génocide retransmis en direct. Si nous ne voyons pas la violence immédiatement, nous en sommes témoins quelques secondes après la diffusion de la destruction.
Mes pensées, en ce moment, sont obsédées par le corps démembré d’une jeune fille, projeté à travers un bâtiment, mais accroché à une barre métallique, la laissant suspendue sans vie, à la vue du monde entier.
Alors que j’écris ces lignes, le 18 mars 2025, les sionistes ont une fois de plus rompu leurs accords, et mon fil d’actualité sur les réseaux sociaux est à nouveau saturé par le spectacle des Palestiniens assassinés.
Nous assistons à l’effondrement d’un ordre mondial fondé sur des règles, censé fonctionner pour le bien collectif, pour finalement se révéler inefficace face à la violence extrême d’une entité sioniste, petite mais bien protégée par les États-Unis et ses voisins arabes.
Dans un autre monde, des milliers de jeunes musulmans du monde entier auraient traversé l’Égypte ou la Jordanie pour se rendre en Palestine et combattre pour leurs frères et sœurs.
Cependant, dans ce monde, ces deux pays ont davantage contribué à emprisonner et à isoler les Palestiniens qu’à fournir des voies de ravitaillement au peuple palestinien pour se défendre, ou à permettre à d’autres de lui venir en aide.
Je vous écris aujourd’hui, préoccupé par certaines interactions que j’ai eues avec divers oulémas, dirigeants communautaires et organisations musulmanes.
Quand je les interroge sur leur absence de présence publique, ils me répondent que notre rôle est de lutter pour la justice, et le leur d’enseigner leur religion au peuple.
C’est inadmissible. Si nos érudits sont les héritiers des prophètes, pourquoi créent-ils ces espaces distincts ? Un décalage entre leur enseignement et les nécessités du monde réel ?
Consultez le Coran et vous ne trouverez aucun exemple d’un prophète ayant déclaré qu’il resterait pour enseigner au peuple, alors que l’injustice sociale devait être corrigée par d’autres.
À notre époque, nous parlons d’une entité politique qui a déplacé des Palestiniens, colonisé leurs terres en s’y installant illégalement et construit toute une infrastructure d’apartheid.
Je vous écris maintenant, à ce stade avancé du génocide, par urgence.
Une simple lecture des aspects économiques de l’aide humanitaire devrait vous faire comprendre que nous subventionnons constamment l’agression et l’oppression sionistes.
Les sionistes détruisent un hôpital, une école ou une mosquée, et la Oumma se mobilise pour les reconstruire. Ils détruisent encore ; nous reconstruisons encore, et ainsi de suite.
Je reviens à l’idée d’une relation abusive : une relation où nous avons constamment l’« occasion » de subventionner un génocide.
Les sionistes voient leurs ressources reconstituées et réapprovisionnées par les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres alliés occidentaux, tandis que les Palestiniens voient leurs infrastructures lentement reconstruites jusqu’à la prochaine agression majeure.
Il n’existe aucune aide ni aucun travail de reconstruction possible qui n’interagisse directement avec l’économie sioniste ; nous sommes donc contraints d’accepter le fait que la richesse de cette Oumma finit par ruisseler vers un système sioniste engagé dans le colonialisme de peuplement et l’apartheid.
Je suis désolé d’être direct, mais s’impliquer uniquement en encourageant publiquement les autres à faire des dons à la Palestine et à faire des du’ā est un choix facile. Appeler à cela seul est un choix qui découle de la peur. Une peur forgée par la guerre mondiale contre le terrorisme – et qui occupe le cœur de nombreux oulémas aujourd’hui.
Que se passe-t-il, cependant, lorsque cette peur nous empêche d’agir, ou du moins de dire la vérité ?
Je crains que, lorsqu’une telle peur s’installe dans le cœur des érudits, des dirigeants et des organisations, elle puisse produire une dissonance spirituelle : une dissonance dans laquelle les principes fondamentaux de l’aqīdah et du tawhīd peuvent être enseignés en classe, mais qui, en même temps, ne sont pas appliqués dans le monde réel.
Enseigner qu’il n’existe pas de puissance supérieure à celle d’Allah, puis craindre Sa création au point de l’inaction, est une dissonance qui exige un réalignement.
Ce qui se passe en Palestine relève en grande partie de notre croyance en Allah et de notre compréhension de la manière dont le schéma éthique du Coran nous contraint à affronter ce monde tel qu’Allah l’a prévu pour nous. Le fait que nous vivions un génocide retransmis en direct constitue peut-être le principal imtihān de notre époque.
Ne pas être en première ligne d’une action est une chose, en être totalement absent en est une autre. Ceci est un appel à nos érudits : se mobiliser pour ces prisonniers politiques, se mobiliser pour les Palestiniens et, en fin de compte, faire preuve de leadership en se mobilisant pour ce que les prophètes auraient fait en temps d’oppression. Ce sont eux qu’Allah a dotés de ce mandat – un mandat qui doit être exprimé publiquement, et pas seulement en privé.
Faire preuve de solidarité signifie se tenir aux côtés des autres, même si nous ne participons pas à leurs actions.
Il suffit donc de placer sa confiance en Allah : ordonner le bien et interdire le mal vous rapprochera toujours de Lui (subḥānahu wa ta’āla).
Asim Qureshi, Directeur de recherche, CAGE International